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lutter contre la corruption(médiapart)

Dans un long entretien à Mediapart, les deux auteurs de 92 Connection, Jean-Paul Philippe et Noël Pons, décortiquent les ressorts d’une « corruption transversale »qui prospère depuis plusieurs décennies dans les Hauts-de-Seine. Ils décrivent un« système féodal » où la conquête politique de quelques uns se fait grâce à l’efficacité d’une « prédation » qui mêle intérêts privés et argent public.

Ancien commandant de police et ancien agent des impôts spécialisés dans la lutte contre la corruption, MM. Philippe et Pons dénoncent des « systèmes de contrôle déficients ». La faute, selon eux, à une vieille « volonté politique de ne pas lutter contre la délinquance financière, et une volonté, ces dernières années, de saboter la police judiciaire ». Ils ont d'ailleurs signé l'appel "Agir contre la corruption" lancé par les professionnels du monde judiciaire en juin 2012, et publié par Le Monde, ici.

Au-delà des constats, les deux auteurs, qui appuient là où ça fait mal, dévoilent plusieurs propositions concrètes pour endiguer le phénomène d’une corruption rampante des élites, dont les formes évoluent sans cesse : infiltration de policiers au cœur des réseaux de corruption, établissement d’une liste noire officielle des entreprises aux pratiques douteuses, indépendance renforcée des procureurs de la République…

« La finalité du livre, c’est d’élever le niveau de conscience des gens sur ce problème et faire en sorte que lorsqu’il y a une élection avec un candidat corrompu, on ne vote pas forcément pour lui », glisse l’ancien commandant de police Jean-Paul Philippe. Entretien.

Mediapart: Pour quelles raisons avez-vous décidé de publier ce livre maintenant et sur ce département en particulier?

 

Noël PonsNoël Pons© dr
Noël Pons: L’idée de départ, c’était de montrer un glissement dans les pratiques de corruption. D’une corruption à l’ancienne (marchés publics, emplois plus ou moins fictifs, fausses factures), on passe doucement vers un financement à l’américaine, avec des hedge funds, des entreprises extrêmement importantes. Cette évolution s’est faite dans les années 2005-2006, nous l'avons ressentie dans notre travail.

 

Mais pourquoi un zoom sur les Hauts-de-Seine pour montrer ce glissement?

Jean-Paul Philippe: D’abord parce que j’ai été fortement impliqué dans les Hauts-de-seine dans le cadre de mon travail, notamment avec l’affaire des HLM du 92. Nous avions là tous les ingrédients pour expliquer le fonctionnement d'un système de corruption dans une collectivité territoriale. Plutôt que de parler de manière transversale de la corruption, nous avons opéré une sectorisation de la prédation. On s'aperçoit que cela pompe à tous les étages, de manière légale ou illégale. Le premier niveau de pouvoir, ce sont bien sûr, les mairies, le conseil général. Mais il y en a un second, en amont, où l'ont voit les sociétés, les SEM (sociétés d’économies mixtes), opérer des montages.

Vous posez la question d’un département qui serait devenu le « laboratoire » de la corruption. Existe-t-il un particularisme des Hauts-de-Seine?

Jean-Paul Philippe: Ce petit département, avec la Défense, qui est le plus grand centre européen d'affaires représente une concentration colossale de richesses, à proximité de Paris. Nous démontrons que pour arriver dans les palais parisiens, il faut avoir un relais: une collectivité territoriale. Chirac s'était appuyé sur la mairie de Paris, Sarkozy s'est emparé du conseil général des Hauts-de-Seine, comme, Pasqua avant lui.

Noël Pons: Par ailleurs les fraudes se multiplient quand les affaires marchent.

Vous posez d'ailleurs une question sociologique, en évoquant un lien entre la position sociale élevée et les comportements contraires à la morale.

Noël Pons: C'est une question que les sociologues Pinçon-Charlot avaient déjà posée. Dans la corruption, il y a plusieurs niveaux: la corruption “blaireaux” de petit niveau; les marchés publics, qui sont la pompe à fric; et la distribution d'avantages et de places qui représente une corruption d'élites.

Vous décrivez justement un glissement vers une corruption novatrice, plus en phase avec la mondialisation, qui s’appuie sur le lobbying, et où « la connivence a supplanté les fausses factures ».

Noël Pons: Le lobbying et le pantouflage sont essentiels. Vous n'avez pas de place localement, vous aidez quelqu’un, puis vous prenez la pantoufle. C’est un phénomène qui réapparaît.

Pourquoi aujourd’hui?

Noël Pons: Parce que c’est le montage en place dans toutes les structures internationales, à Bruxelles, à l’OMS, etc. Des commissaires européens vont pantoufler dans des entreprises dont ils ont eu la gestion. Avant, le problème restait local, maintenant on est dans un niveau mondialisé. Et l’extérieur nous donne l’exemple, regardez le lobbying des banques.

Le pantouflage élargi, le rôle des avocats d’affaires, les légions d’honneur, les faveurs: est-ce que tout cela entretient l’esprit de corruption?

Noël Pons: J’ai appelé cela la « corruption douce ». Dans une collectivité locale, les gens qui restent longtemps et sont liés aux partis ont une voiture, une légion d’honneur, des remboursements de frais. Parce que l’important n’est pas tellement d’avoir un salaire, mais d’avoir ces privilèges, ces cadeaux. Cela n’est pas forcément pénal, mais c’est un élément essentiel.

Ce que vous décrivez ressemble à la conquête d’une baronnie avant d’atteindre le château et de distriber les privilèges. A vous écouter, on est loin d’un système républicain, on se situe davantage dans un vieux schéma, que l’on a connu en France...

Jean-Paul Philippe: Cette conquête pourrait se faire sans prédation. Mais là, la prise de pouvoir local est une première étape dans l'ascension, et, en plus, on ne s’oublie pas au passage...

Noël Pons: Nous sommes dans une situation pré-révolutionnaire. C’est pour cela qu’on ne peut pas laisser le système se dégrader comme cela, cela ne peut que sauter.

 

MM. Balkany et SarkozyMM. Balkany et Sarkozy© Reuters
Parleriez-vous de “système féodal”?

 

Noël Pons: Oui, mais ce système est aussi lié au fait que l'on commence à trouver des partis avec très peu de militants. Pour coller des affiches, on loue une société... Donc il faut des rentes. On va donner une rente à trois familles qui détient ceci et cela. C’est une sorte de clientélisme élaboré.

Jean-Paul Philippe: Didier Schuller (l'ancien patron de l'office HLM des Hauts-de-Seine, ndlr) a toujours dit qu'il avait un patron au-dessus de lui (Patrick Balkany), qui lui-même avait un patron au-dessus de lui (Charles Pasqua). Voilà l’architecture. On est au delà du système féodal...

Dans votre livre, vous dites que tout cela est sous nos yeux: les décorations, les nominations sont publiées au Journal Officiel.

Noël Pons: Oui, c’est une corruption d’élites sous nos yeux. Désormais, ce sont moins les enveloppes que les places. Le népotisme est important, c’est toute une famille qui est dans le conseil général. La légion d’honneur, reçue comme le respect de la nation, devient une escroquerie.

Jean-Paul Philippe: On le voit à Puteaux: le grand-père, la fille et le petit-fils siégaient dans le même conseil municipal. Mais pourquoi la République, la démocratie a laissé s’installer cela ? Est-ce que cela échappe aux gens qui votent ?

Il y a une vraie volonté politique de ne pas lutter contre la délinquance financière »

Justement, vous parlez de deux niveaux, on voit donc qu’il y a une face cachée qui n’apparaît pas au citoyen. Comment lutte-t-on contre cela?

Jean-Paul Philippe: Les systèmes de contrôle sont déficients, même pour le premier niveau. Les autorités judiciaires ne poursuivent pas toujours quand elles le devraient. Sur le deuxième niveau, les rapports des chambres régionales des comptes (CRC) signalent un grand nombre de choses, sans que cela n'aboutisse forcément. En fait, il y a deux effets: d’abord vous phagocytez tout le système de contrôle dans un département. Puis, une fois que vous avez le pouvoir au niveau national, vous essayez d'organiser la dépennalisation du droit des affaires, la suppression du juge d’instruction, la dépendance du parquet...

Mais comment expliquez-vous – avec votre expérience de terrain –, l’absence de réponses fortes à ce système cadenassé?

 

Jean-Paul PhilippeJean-Paul Philippe© dr

Jean-Paul Philippe: Le point de rupture, c’est 2002. Avant 2002, c’est la cohabitation, on fait ce que l'on veut. Jacques Chirac en prend plein la tête (la cassette Méry, les billets d’avion payés en liquide, etc). Lorsqu’il est réélu, il commence à sabrer. L’étau se resserre au niveau judiciaire, je l’ai senti, mais on peut alors encore travailler. Cette inflexion se poursuit avec Nicolas Sarkozy en 2007.

 

Le verrouillage s’amplifie jusqu’en 2012, où il n’y a plus de réponses du système judiciaire. Dans la police judiciaire, certains doivent gérer de gros dossiers seuls, là on nous aurions été 5 ou 10 par le passé. Beaucoup sont aussi partis par ras-le-bol.

Y a-t-il eu une fuite des compétences dans l’appareil policier, sans formation de nouveaux éléments?

Jean-Paul Philippe: Il faut remonter à la source: il y a une vraie volonté politique de ne pas lutter contre la délinquance financière, et une volonté, ces dernières années, de saboter la police judiciaire. L'actuel directeur central de la police judiciaire (Christian Lothion, ndlr) déteste les affaires financières. Le politique a utilisé ces gens, en se disant qu’untel était suffisamment formaté pour ne pas faire trop de zèle dans les affaires financières. Par ailleurs, il faut être courageux pour les mener à leur terme, car ce n’est pas porteur dans votre carrière. Certains ont d’ailleurs été mis au placard.

N'est-ce pas aussi parce que ces affaires sont longues, pas toujours concluantes, et qu’elles ne font pas du chiffre, donc c’est en contradiction avec l'idéologie policière du rendement?

Noël Pons: Beaucoup de fonctionnaires, sans qu’on ne leur demande rien, se posent la question de savoir s’ils pourraient déranger plus haut. C’est une auto-censure policière, fiscale, judiciaire. Finalement, ils fonctionnent à la peur, ce n’est même pas la peine de leur dire de ne pas le faire...

MM. Sarkozy et Pasqua, tous deux anciens ministres de l'intérieur.MM. Sarkozy et Pasqua, tous deux anciens ministres de l'intérieur.© Reuters

Est-ce que le système institutionnel tel qu’il est organisé, avec un fil à plomb direct du ministère de l’intérieur sur la police judiciaire et du ministère de la justice sur le parquet, ne fait pas partie des freins ? Est-ce qu’il faudrait institutionnaliser l’indépendance de la PJ par rapport au ministre, exemple?

Jean-Paul Philippe: Je ne suis pas un fervent partisan du rattachement de la PJ à la justice. En revanche, il faut faire en sorte que la PJ soit plus indépendante au sein même de l’Intérieur. Le réel problème, c’est la double casquette. On l’a vu, par exemple, lors de la perquisition Tibéri: d’un côté un juge vous dit “Vous venez”, de l’autre votre patron vous dit “Il ne faut pas y aller, le directeur a dit non”. Qu’est-ce que vous faites ? Cela pose le problème de désobéissance de la hiérarchie policière, de l’ordre illégal.

Que pensez-vous des annonces de François Hollande sur la transparence (lire notre article)?

Jean-Paul Philippe: En juin, nous avons signé l’appel “Agir contre la corruption” (à lire ici, Ndlr), en disant: un nouveau pouvoir politique arrive, vous promettez la “République exemplaire”, nous dressons le bilan d’une situation qui s’est pérennisée depuis 2002, sous deux quinquennats, voilà nos propositions. Nous avons reçu une réponse de Christiane Taubira en septembre, et puis rien. Et nous sommes en avril, l’affaire Cahuzac éclate et tout le monde s’affole. On va légiférer dans l’urgence et (re)faire n’importe quoi ? Est-ce que ces mesures vont être efficaces ? Pourquoi n’a-t-on pas commencé plus tôt le boulot ? Que s’est-il passé entre juin et avril ?

Quelle est la mesure la plus pertinente dans l'éventail présenté?

Noël Pons et Jean-Paul Philippe (en choeur): L’indépendance du parquet !
 
A l’inverse, quelle est la mesure la moins aboutie?

Jean-Paul Philippe: Il y a des ajustements à faire sur les déclarations de patrimoine. Il ne faut faire une déclaration publique que lorsqu’on a vérifié. Parce que ce qui pêche, c’est le contrôle, la perception du contrôle, et du risque que l’on court.
 
C’est d’ailleurs ce que vous dites dans votre livre: plus il y a d’impunité, plus les affaires se multiplient...

Jean-Paul Philippe: Oui, si la personne sait qu’elle ne se fera pas contrôler, elle n’en aura rien à faire.
 
Vous évoquez aussi les rapports des chambres régionales des comptes, dont les conclusions ne sont pas suivies d’effets au niveau pénal.

Jean-Paul Philippe: Dans les rapports que nous citons (Levallois, Puteaux, Asnières), il y a matière à enquêtes et probablement à poursuites pénales. Mais il n’y a rien derrière ! Il faut respecter l’article 40 du code de proécdure pénale (qui impose à tout agent public témoin d'un délit de le signaler au procureur, ndlr), sauf que son non respect n’est pas sanctionné. Les outils existent, mais ils sont mal utilisés.

Vous proposez également de recourir à l’infiltration d'agents. Pourquoi est-ce important?

Jean-Paul Philippe: Dans tous ces affaires, comme c’est occulte, nous n’avons pas d’informations. Si, en plus, les corps de contrôle ne font pas leur travail, et si la chambre régionale des comptes ne fait pas d’article 40, vous n’avez pas de procureur saisi. Donc il faut aller chercher l’information, avec des indic’, avec de l’infiltration. Depuis 2007, le code de procédure pénale français la prévoit en matière de corruption. Elle est déjà employée dans la grande criminalité, le grand banditisme. Pourquoi on ne l’employe pas dans la corruption ? Si l’on met en place un office de lutte contre la fraude et la corruption, pourquoi on ne le dédie pas à un groupe spécifique d’infiltration ?

Noël Pons: Regardez l’affaire Galleone, la seconde plus grosse affaire de fraude dans les délits d’initiés aux Etats-Unis: elle a abouti parce qu’ils ont soupçonné des terroristes et ont placé tout le monde sur écoute.

Vous préconisez d’autres mesures: la « prime pénale » (la réduction de peine lorsque l’individu impliqué dans des faits de corruption, accepte de fournir des éléments à l’avancée de l’enquête), légiférer sur les abus de biens sociaux et entériner la position de la Cour de Cassation sur les délits de prescription (reporter le point de départ de la prescription – 3 ans – au moment où le ministère public a connaissance des faits).

Jean-Paul Philippe: Il faudrait légiférer là-dessus. C’est une infraction dissimulée, on met le point de départ de la prescription à cinq ans, dix ans.

Dans l’affaire Cahuzac, contrairement à ce qu'on entend, ce n’est pas que l’affaire d’un homme. Les paradis fiscaux ont agi comme des révélateurs. Est-ce qu’on peut dire qu'ils constituent un point de départ de la criminalité financière à haut niveau?

Noël Pons: Tout passe par les paradis fiscaux. Sans eux, il n’y aurait plus de problèmes.

« 2002-2012 a été un no man’s land judiciaire »

Mais peut-on lutter nationalement contre une corruption mondialisée ?

Noël Pons: Oui, parce que le ménage se fait d’abord devant sa porte. Quand il y a de la neige, vous déblayez d'abord devant chez vous, puis les autres le font. Mais aujourd'hui, la seule chose qui fait réellement avancer, c’est le scandale. Avec le scandale Cahuzac, l’Europe a bougé en trois mois comme jamais elle ne l'a fait en quarante ans. Bien sûr, il y aura toujours d’autres paradis fiscaux, à Singapour ou ailleurs, mais il faut faire les premiers pas pour que cela bouge.

D’autant que face à nous, ce sont des professionnels qui agissent sans frontières. En matière de fraude, on sait que 20% des gens fraudent de manière systématique, 20% ne frauderont jamais, mais 60% basculent. Eradiquer la corruption, cela n’existe pas, mais si déjà on sait que dans un cadre de 200 millions de personnes on est à peu prêts corrects sur certaines choses, il y aura une évolution.

Pour que la pédagogie fonctionne, il faut rappeler que cela concerne le quotidien des citoyens et le bien public: c’est nous qui payons pour ce que eux ne payent pas.

Jean-Paul Philippe: Les gens comprennent. J’ai travaillé sur l'affaire des lycés, on a démontré, documents analytiques à l’appui, que cela concernait 30% de surfacturation. Cela veut dire que le citoyen n’a pas le prix qu’il a payé.

Mais dans le démontage des systèmes, on voit qu’au bout d’un moment, les cerveaux s’en sortent. N’est-ce pas frustrant pour vous?

Jean-Paul Philippe: Il faut être bon professionnel, essayer d’aller le plus loin possible. Après, vous ne pouvez pas aller contre tout le système.

Noël Pons: D'autant que nous nous inscrivons totalement en faux du "tous pourris": c'est une aberration, qui fait le lit des extrêmes.

Dans votre livre, c’est justement l’inverse du “tous pourris” puisque vous expliquez que de Paris aux Hauts-de-Seine, ce sont les mêmes que l'on retrouve dans les différentes affaires...

Jean-Paul Philippe: Parce qu’il n’y a pas de sanctions !

Donc la question est là: est-ce que les dispositifs ne sont pas assez mordants?

Jean-Paul Philippe: Il faut une vraie volonté pour lutter contre la corruption et les paradis fiscaux, il ne suffit pas de dire, comme l’a fait un ancien président (Nicolas Sarkozy, ddlr)« Les paradis fiscaux n’existent plus ! »

Le quartier de La DéfenseLe quartier de La Défense© dr

Certains puissants passent entre les mailles du filets, mais parfois aussi le système se reconstitue, comme en Essonne (lire notre série d'enquête sur la corruption en Essonne)?

Jean-Paul Philippe: Vous avez l’explication: la période 2002-2012 a été un no man’s land judiciaire, il n’y a pratiquement plus de poursuites. La réponse, c’est la liste noire des entreprises: on blackliste les entreprises sur les marchés. C’est appliqué en Allemagne, c’est très efficace sur le plan international. On est dans un système où même si la répression n’est pas très féroce, le risque de se faire prendre existe, on le voit avec l’affaire Cahuzac. Il faut créer une insécurité.

Et pour créer cette insécurité, vous dites, finalement, que le scandale est très efficace?

Noël Pons: Dans ce cadre-là, ça ne fonctionne que par les scandales.

Jean-Paul Philippe: Mais c’est un mode de fonctionnement pathologique. Cela veut dire que la démocratie fonctionne mal. Pour autant, nous sommes dans une période paradoxale dans le sens où il y a une rupture par rapport à la gestion antérieure: on a une volonté politique d’une indépendance du parquet, une presse qui a pu jouer son rôle de contre pouvoir, et boum !

Noël Pons: Mais dans ces scandales, les gens n’ont pas une vision des montants. A cet égard, l’affaire Mancel (du nom de l'ancien président du conseil général de l'Oise, Jean-François Mancel, aujourd'hui député UMP, ndlr) est intéressante: c'était une affaire compliquée qui concernait 2 millions d’euros. Personne n’a rien vu, personne n’a toussé. Mais lorsqu’on a appris que ses filles avaient une radio et une télévision dans leur chambre chacune, cela a marqué les gens, des lettres d’insultes ont été envoyées. Les gens comprennent une fraude entre 4.000 et 10.000 euros, beaucoup moins un million.

Est-ce que la période pré-révolutionnaire que vous évoquiez, elle n’existe pas précisément parce que nous sommes en situation de crise?

Noël Pons: Le scandale devient d’autant plus important quand on commence à peiner. Il n’y a pratiquement aucune “affaire” qui sort lorsque les affaires marchent bien. C’est en période de crise que la réalité remonte. A cet égard, l'année 2014 sera encore plus forte que 2013...

Jean-Paul Philippe: Mais il y a un paradoxe: les gens peuvent s’exprimer en démocratie, par le vote. Le citoyen a la possibilité de dire "non" à ces élus. Mais il ne le fait pas forcément: des Patrick Balkany ou des Jean-François Mancel sont réélus.

Vous qualifiez votre livre de « guide », de « bréviaire » et vous y développez l'idée que si les gens comprennent cette « corruption douce », celle-ci sera rendue plus difficile. Votre livre est-il un appel à une forme de vigilance citoyenne? 

Noël Pons: On a essayé de structurer ce livre de manière à ce que le maximum de gens puisse le lire. On a mélangé les histoires, les schémas, les encadrés didactiques: la caisse noire, c’est quoi ? Les montages des marchés publics, c’est quoi ? Quelles sont les dix propositions pour lutter contre la délinquance financière ?

En creux, ne dites-vous pas finalement que la corruption tue le lien social?

Noël Pons: Oui, à deux niveaux. D'une part, parce que la charge obligatoire est mise sur les épaules de personnes qui ne devraient pas la supporter; d’autre part parce que cela tue le lien social dans l’esprit: on entend cinquante fois “est-ce que tu connais quelqu’un pour placer mon fils ?”. On arrive à un monde de pays sous-développés, avec un seigneur, qui donne des privilèges si vous faites ce qu'il faut.

Jean-Paul Philippe: La finalité du livre, c’est d’élever le niveau de conscience des gens sur ce problème et faire en sorte que lorsqu’il y a une élection avec un candidat corrompu, on ne vote pas forcément pour lui. Un sondage a été réalisé sur ce qui paraît important aux gens: un homme politique honnête ou efficace ? 43% veulent qu'il soit efficace. Donc, dans la hiérarchie, les gens s’assoient sur l’honnêteté si l’élu est efficace. Mais l’un ne va pas sans l’autre ! C’est le contrat social.

Est-ce qu’on peut dire que l’esprit de corruption est l’enrichissement de quelques uns et l’appauvrissement de tous?

Jean-Paul Philippe: L’appauvrissement est collectif quand on voit le rang de la France dans le classement de Transparency International (lire les détails ici et , Ndlr). Lorsqu’on va en Afrique, la première chose que je dis c’est que nous n'avons pas de leçons à donner.

 

 



16/10/2013
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