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les misères du patronat

Les misères du patronat » de Jean Jaurès

Les misères du patronat » font partie des nombreux articles que Jean Jaurès publie à partir de 1888 dans la Dépêche de Toulouse. Pour l’homme qui n’a pas retrouvé son siège de député en septembre 1889, ces articles sont le moyen d’exposer sa vision du socialisme mais aussi l’occasion d’apprendre la politique de « terrain ». « Les misères du patronat » a été publié à la Une de la Dépêche le 28 mai 1890. En juillet, Jaurès sera élu conseiller municipal de Toulouse

Jean Jaurès

Jean Jaurès

[Extrait]C’est une erreur grave de croire que le socialisme ne s’intéresse qu’à une classe, la classe des ouvriers, des producteurs manuels. S’il en était ainsi, il remplacerait simplement une tyrannie par une tyrannie, une oppression par une oppression. Lorsque Danton disait : “nous voulons mettre dessus ce qui est dessous, et dessous ce qui est dessus”, c’était le mot d’un politicien révolutionnaire excitant les convoitises dans un intérêt passager ; ce n’était pas le mot d’un socialiste. Le socialisme vrai ne veut pas renverser l’ordre des classes ; il veut fondre les classes dans une organisation du travail qui sera meilleure pour tous que l’organisation actuelle. Je sais bien que les meneurs du socialisme le réduisent trop souvent, par des déclamations violentes et creuses, à un socialisme de classe, d’agression, de convoitise ; mais je sais aussi que la vraie doctrine socialiste, telle que les esprits les plus divers l’ont formulée, les Louis Blanc, les Proudhon, les Fourrier, est bien plus large et vraiment humaine : c’est le bien de la nation tout entière, dans tous ses éléments sains et honnêtes, qu’elle veut réaliser.En fait, si l’on va au fond des choses, le système d’individualisme à outrance, d’âpre concurrence, de lutte sans merci qui régit aujourd’hui la production, fait presque autant de mal à la classe bourgeoise dans son ensemble qu’à la classe ouvrière. Le patronat a ses misères qui ne sont pas les mêmes que celles de l’ouvrier, qui sont moins apparentes, moins étalées, mais qui souvent sont poignantes aussi.

 

« C’est une erreur grave de croire que le socialisme ne s’intéresse qu’à la classe des ouvriers. S’il en était ainsi, il remplacerait simplement une tyrannie par une tyrannie, une oppression par une oppression. »

Tout d’abord, les tout petits patrons sont, d’année en année, après bien des efforts et des souffrances, emportés par la grande industrie. Il y avait, en 1860, dans l’industrie française, 180 mille chevaux-vapeur ; en 1871, il y en a 315 mille ! En 1887, il y en a 748 mille. Cet énorme accroissement du machinisme correspond à la disparition graduelle de la petite industrie, et elle ne va pas sans souffrances pour d’innombrables petits patrons. Ceux qui luttent encore dans un certain nombre d’industries comme la coutellerie, la tannerie, sont menacés : ils ne résistent qu’à force d’économie personnelle et de labeurs ; ils travaillent avec leur petite équipe d’ouvriers, autant qu’eux, plus qu’eux, pour donner l’exemple ; et ils ont de plus des soucis que les ouvriers n’ont pas. Il y a des échéances qui pressent, il y a une baisse soudaine dans la valeur des produits, et le crédit peut se dérober.

 

De même, dans la moyenne industrie, il y a beaucoup de patrons qui sont à eux-mêmes, au moins dans une large mesure, leur caissier, leur comptable, leur dessinateur, leur contre-maître : et ils ont, avec la fatigue du corps, le souci de l’esprit que les ouvriers n’ont que par intervalles. Ils vivent dans un monde de lutte où la solidarité est inconnue. Jusqu’ici, dans aucun pays, les patrons n’ont pu se concerter pour se mettre à l’abri, au moins dans une certaine mesure, contre les faillites qui peuvent détruire en un jour la fortune et le crédit d’un industriel. Une grève éclate-t-elle, il n’est pas sans exemple que les plus gros industriels qui la peuvent supporter la voient avec satisfaction parce qu’elle écrasera les autres et qu’ils en recueilleront les dépouilles. Entre tous les producteurs, c’est la lutte sans merci : pour se disputer la clientèle, ils abaissent jusqu’à leur dernière limite, dans les années de crise, le prix de vente des marchandises ; ils descendent même au-dessous des prix de revient ; ils sont obligés d’accorder des délais de paiement démesurés, qui sont pour leurs acheteurs une marge ouverte à la faillite, et s’il leur survient le moindre revers, le banquier aux aguets veut être payé dans les vingt-quatre heures.

De plus, les industriels moyens sont de plus en plus menacés par la coalition des puissants qui, en se syndiquant, disposent des prix, font la loi sur le marché et éliminent la concurrence. Ils ne jouent pas, ils sont même le contraire du joueur, puisqu’ils bâtissent peu à peu une modeste fortune par le travail, mais il y a au-dessus d’eux des fureurs de jeu, de spéculation. Et ces spéculations, auxquelles la moyenne industrie ne prend aucune part, peuvent la ruiner en un jour.



28/12/2012
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