circulez rien à voir blog de la section socialiste des 3 pointes

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et si on leur foutait la paix

Je viens de tomber sur un article de médiapart qui nous parle d'Hénin Beaumont et du déchainement politique et médiatique qu'entraine les candidatures de Le Pen et de Mélenchon.

Candidatures qui suscitent chez les habitants pas toujours un enthousiasme débordant.

Beaucoup en effet estiment que ces parachutages font peser sur la ville une réputation qu'elle ne mérite pas.

 

Hénin-Beaumont, de notre envoyée spéciale

« On est tout sauf dans une normalité qui nous permet d’avancer. Les élus locaux sont étouffés par le buzz médiatique. La ville est connue pour ce qu’elle n’est pas », déplore David Verkempinck, qui vient de passer le relais à la tête de l’Escapade, la salle de spectacle historique d’Hénin-Beaumont.

Depuis 2007, l’ancienne citée minière du Pas-de-Calais (27 000 habitants), est envahie par les médias, venus suivre les parachutages de Le Pen puis de Mélenchon, ou encore les scandales et déchirements du PS. Des élections en permanence, des candidats qui règlent leurs comptes en direct (exemple à 26'48), l’étiquette “ville FN” et “socialistes corrompus”, une bonne dose de clichés, et ce chiffre inscrit dans le marbre : « un habitant sur deux vote Front national ». La ville semble devenue un petit théâtre en carton-pâte gravitant autour des trois QG, de la mairie, et de la place du marché, avec ses personnages caricaturaux. Une grande partie des Héninois n’en peut plus. Récit derrière le décor.

Jean-Luc, coiffeur à la retraite.Jean-Luc, coiffeur à la retraite.© M.T.


Tous les matins, à 9 h 55, Jean-Luc est posté devant sa maison de la rue Lamartine, prêt pour sa petite balade. Aujourd’hui, il est énervé : « Regardez ce qu’ils ont fait ! » hurle-t-il. Le Front national a intégralement recouvert les panneaux électoraux officiels de ses affiches, le Front de gauche vient de repasser pour faire de même. Comme de nombreux habitants, ce coiffeur à la retraite n’en peut plus de « l’affichage sauvage » sur les portes de garage, les murs, et de cette « agressivité » entre les deux « Fronts ». Il aperçoit un camion d’une chaîne télé. « Et demain c’est le marché, soupire-t-il. C’est blindé de politicards et de médias, on ne peut plus avancer. C’est l’overdose. Vivement que ça se termine. Les médias nous cherchent des poux dans les cheveux. Toute la France connaît Hénin ! » déplore-t-il.

Marie-Françoise Gonzales, patronne de la friterie et « mélenchoniste »Marie-Françoise Gonzales, patronne de la friterie et « mélenchoniste »© M.T.


En face de l’église, Marie-Françoise Gonzales installe les tables devant sa friterie. Elle aussi est remontée, mais contre le faux tract du FN (pour lequel Mélenchon a attaqué Le Pen en justice). Agacée elle aussi par l’étiquette frontiste collée à la ville. « Venez à Hénin, il n’y a pas que des fachos ! Un habitant sur deux vote FN, mais seulement aux municipales. Dans les quartiers populaires, on a voté Hollande en masse au deuxième tour », rappelle-t-elle. Comme beaucoup, cette mélenchoniste, fille d'immigrés espagnols, estime que les scores élevés du FN sont le fait de « gens désemparés », déçus par « les barons socialistes qui ont fait n’importe quoi », et courtisés par un Front national qui « laboure le terrain depuis des années ». « Ici, on ne sait même plus pourquoi les gens se détestent », se lamente-t-elle.

Ludovic et Ahmed, intérimaires.Ludovic et Ahmed, intérimaires.© M.T.


Près de la gare, on croise Ahmed et Ludovic, intérimaires, la vingtaine. Ahmed est un voisin de Marine Le Pen, qui occupe un appartement dans le centre-ville. Lui aussi « sature ». « La rue est souvent bouchée, il y a des voitures, des caméras. Quand elle est arrivée, elle mettait souvent la musique à fond jusqu'à 3 heures du matin au QG, mes parents appelaient les flics », raconte-t-il. « Elle fait passer Hénin pour Harlem, elle parle de délinquance avec les Arabes, mais il n’y a pas de criminalité, pas de problèmes ici. Maghrébin ou pas, tout le monde se connaît et se parle. »

Ahmed et Ludovic pensent que « le FN ne changera jamais » et ils voteront Mélenchon, un « sauveur », disent-ils. Plus loin, Kenza et sa bande de copines font du vélo. C’est la plus jeune, âgée de 9 ans, qui raconte spontanément : « Marine Le Pen, elle colle, et les autres ils recollent après. » « Moi, j’en ai marre de Marine », explique l'aînée, tandis que la troisième lâche : « Moi je suis Marocaine et fière de l’être. »

« Ceux qui sont sur le marché, ils vont au spectacle »

Kenza et ses copines.Kenza et ses copines.© M.T.

Dans les cités-jardins au sud de la ville, où Marine Le Pen réalise ses meilleurs scores, ils sont aussi nombreux à ne plus supporter le miroir de leur ville. « Hénin, c’est la honte ! » dit une femme, dans la cité Darcy, évoquant les affaires du PS. « Tous les jours je les ai eus, le FN, je n’en peux plus ! » raconte Lysiane, auxiliaire de vie dans le quartier de la Tour d’Argent. Les médias nous caricaturent. Il y en a marre d’entendre qu'on accueille le FN ou qu’on n'aime pas les Arabes. Si c’était le cas, elle serait déjà à la mairie. Moi, ici, elle ne rentre pas ! »

Un commerçant du centre-ville regrette que la campagne ne soit « pas intéressante » et qu'« on ne parle pas de la région », mais préfère en rire : « Ça fait quatre ans que c’est folklorique. C’est le feuilleton “Les Feux de l’amour” ! Les caméramans, je leur dis “je ne vous empêche pas de faire votre travail, mais laissez rentrer mes clients”. Je lis dans les journaux qu’Hénin est “à feu et à sang”. Moi je ne vois pas ça. On polémique trop. »

Pendant la Ducasse, fête foraine annuelle.Pendant la Ducasse, fête foraine annuelle.© M.T.

En réalité, les commerçants ne sont pas les plus embêtés par ce va-et-vient, au contraire. « Ça nous fait travailler, on est contents, nous ! » raconte le serveur du Café de la paix. Un commerçant explique qu'il ne voit pas en Marine Le Pen une parachutée – « elle a été élue municipale » – mais « une cliente » : « Elle habite à côté, elle vient ici tous les jours. Au moins, elle fait vivre Hénin ! » dit-il, ajoutant : « Heureusement qu’on l’a, elle a foutu Dalongeville dehors ! Après, ses idées, il y en a des bonnes et des mauvaises… » Et puis, il y a ce patron d’un restaurant qui se vante d’avoir reçu « Marine » et son équipe le midi même. « Regardez, on a pris une photo avec elle, dit-il en sortant son portable. J’ai aussi eu Mélenchon, Eva, Noël Mamère, Hervé Morin. »

« La proximité avec Le Pen est réelle, reconnaît David Verkempinck, l'ancien directeur de la salle de l'Escapade. Aux cantonales, on a passé la ligne rouge, elle a pris des voix. Mais les électeurs ne votent pas FN ou Le Pen, ils votent Marine. » Ils sont nombreux à faire la correction : Hénin n'est pas le « fief de Marine Le Pen », c'est son « laboratoire d'essais », « populaire et populiste ».

Un « laboratoire » où la présidente du FN joue chaque vendredi la même pièce de théâtre depuis 2007, sur la place de la République. Elle traverse le marché avec un large sourire artificiel et serre les mains, suivie d’un peloton de micros, caméras, et flashs. Depuis un mois, elle est rejointe par la caravane Mélenchon. « Quand on fait le marché avec Le Pen, on a l’impression que tout le monde vote FN, et inversement avec Mélenchon », ironise Marine Tondelier, 26 ans, candidate écolo. Cette native d’Hénin a été la première à dénoncer ce « cirque » (tribunes sur lenouvelobs.com et dans Le Monde), déplorant les « coups médiatiques » des deux leaders nationaux. « On dirait une ville sous occupation. L’élection échappe aux habitants. Il y a très peu d’espace pour les vrais enjeux, pas de débat d’idées », regrette-t-elle.

Élus et militants saturent. « J’ai reçu un journaliste aujourd’hui, il voulait filmer une pauvre qui venait au CCAS », se désole Maurice Lecat, le directeur de cabinet du maire. « Vous ne pouvez pas faire dix mètres sans avoir une télé », râle Serge Brietz, militant socialiste héninois. Au QG du PCF, même lassitude. L’attachée de presse de Mélenchon se plaint des « débarquements » de journalistes venus suivre la campagne comme un safari, demandant « qu’on vienne les chercher à la gare ».

Le téléphone sonne de façon ininterrompue : le Daily Telegraph, la Tribune de Genève. David Noël, secrétaire de la section communiste d’Hénin-Beaumont, leur déroule l'agenda complet et suggère « un tractage devant un lycée, si vous voulez des jeunes ». « Ne passez pas votre temps assis à répondre aux journalistes, allez sur le terrain ! » a mis en garde Hervé Poly, le suppléant communiste de Mélenchon. « S'il y a un cirque, ce n'est pas nous qui l'organisons, se défend Mélenchon. Voulez-vous que je vous raconte ce qu'est une promenade sur le marché, précédé par cinquante journalistes ? »

« Les gens savent que Le Pen et Mélenchon seront sur le marché. Ils viennent pour voir les vedettes, être pris en photo avec eux, demander un autographe », explique le maire, Eugène Binaisse, un ex-MoDem qui soutient le PS. Dominique, militante du Parti de gauche, acquiesce : « Ceux qui veulent faire leurs courses vont à Auchan. Ceux qui sont sur le marché vont au spectacle, ils suivent la bataille comme un feuilleton. » « Ils sont contents de voir les journalistes car cela a fait bouger les choses ici », pense tout de même Dominique. « Il y a une certaine fierté qu’on s’intéresse à eux », analyse l'ancien conseiller régional Alain Alpern, qui recense le moindre mouvement de la vie héninoise sur son blog. Pour la socialiste Marie-Noëlle Lienemann, un temps parachutée dans la ville, « ils sont sensibles au fait d’être choisis, plus que celui d’être du coin ».

A la sortie d'Hénin-Beaumont.A la sortie d'Hénin-Beaumont.© M.T.

« L’image qu’on voit, c’est la vieille dame édentée qui parle en patois »

Dans le centre-ville d'Hénin-Beaumont.Dans le centre-ville d'Hénin-Beaumont.© M.T.

Mais pour l’ancienne ministre, le marché est « une caricature », qui « ne représente pas » la ville. « Bien sûr, le taux de chômage est élevé, mais arrêtons ! Il y a plein de gens maintenant qui travaillent à Lille, vivent dans les zones pavillonnaires en périphérie, et ne sont pas les paumés qu’on décrit ! Ceux-là, ils ne viennent jamais au marché. On voit toujours les trois mêmes cités, les mêmes gens qui ouvrent les portes, car les trois quarts sont au travail. Il faut faire des porte-à-porte dans les zones pavillonnaires, le samedi. »

« L’image qu’on voit, c’est la vieille dame édentée qui parle en patois devant le stand poissonnerie », s’agace Abdel Baraka, figure locale, comédien, fondateur du collectif citoyen Ouvrez les yeux. « Mais Hénin-Beaumont, c’est l’Escapade, c’est Chantal Lamarre (directrice de Culture commune - ndlr) ! On en a ras-le-bol, ici ce n’est pas la misère plus qu’ailleurs. »

« Si la circonscription n’était composée que de cadres, cela se saurait », nuance tout de même Marine Tondelier, qui rappelle que la 11e« regroupe 45 % de plus d'ouvriers que la moyenne nationale » et que le taux de chômage oscille entre « 16 % pour les employés et 18 % pour les ouvriers ». « Il y a une misère énorme », ne peut s’empêcher de constater un responsable national du Front de gauche, citant l’avalanche de plans sociaux et le fossé entre « les pages glorieuses de l’histoire racontées aux repas de famille et la réalité ».

Eugène Binaisse, 3e maire d'Hénin-Beaumont depuis 2008.Eugène Binaisse, 3e maire d'Hénin-Beaumont depuis 2008.© M.T.

« On a résorbé le déficit de 12 millions d’euros et dégagé 9 millions d’investissements cette année », souligne Eugène Binaisse, le maire, qui a pris la tête de la ville après la gestion calamiteuse du socialiste Gérard Dalongeville. Cet ex-MoDem, qui soutient le PS, entend « redonner confiance ». Derrière son bureau, le coffre-fort où ont été retrouvés en 2009 les 13 000 euros de Dalongeville est vide, mais il porte encore les traces de l'intervention des policiers. « La ville a un passé douloureux, le traumatisme se lit encore sur les visages et les attitudes. Elle a besoin de retrouver son calme », dit-il.

« L’image désastreuse que nous donne le buzz national, on n’a pas les moyens de communication pour la contrer », explique son directeur de cabinet, qui met en avant des « atouts » qu’il ne lit jamais dans la presse : « une ville très jeune et qui gagne des habitants », « à 20 minutes de Lille, à proximité des TGV et autoroutes », avec « six collèges et lycées, des équipements sportifs magnifiques ». « Ce week-end, on a eu le championnat de France d’escrime, et ça personne n’en parle pas », soupire-t-il.

Les permanences des élus sont pleines. « Les gens viennent demander un logement, un petit boulot pour survivre », raconte Marie-Noëlle Lienemann. Il n'y a d'ailleurs pas que les élus qui tiennent permanences. Tous les vendredi, Pierre Ferrari, 30 ans, ancien conseiller municipal, exclu du PS après avoir critiqué la fédération, reçoit les habitants dans le petit local de son association citoyenne « Un nouvel élan pour Hénin » (200 membres dont 138 socialistes). « Sans mandat, on ne peut pas faire grand-chose, mais on essaye d’aider les gens dans leurs problèmes administratifs, d’emploi, de logement », dit-il.

Pour David Verkempinck, « on peut comparer Hénin-Beaumont à la Grèce d’un point de vue symbolique. La ville a vécu la crise avant, les extrêmes y sont plus forts. Mais la réalité, ce n’est pas cela », explique-t-il : « La crise est surtout une crise d’identité. On est dans le constat permanent de ce qui ne va pas, alors qu’il faut avancer des solutions. » Ce petit-fils de mineur milite pour une « troisième voie » : « faire participer les gens à la reconstruction de leur ville » et « mettre en place un programme citoyen ».

David Verkempinck, directeur de l'Escapade pendant huit ans.David Verkempinck, directeur de l'Escapade pendant huit ans.© M.T.

Des opérations participatives ont vu le jour, comme Récit de recettes, porté par les maisons de quartier et la Compagnie générale de l'imaginaire, qui implique les habitants à travers l'invention de recettes racontant leur ville et imaginant son avenir. L’Escapade, poil à gratter de la situation locale, a diffusé plusieurs spectacles entre dénonciation et autodérision, mettant en scène le bal des candidats sur le marché ou rappelant que « la main-d’œuvre étrangère a toujours été intégrée dans le collectif ». Comme « Mémoire d’un mineur marocain », qui raconte avec humour l’intégration d’un mineur marocain dans la culture cht’i, « Naz », qui interroge habilement sur les dérives extrémistes, ou, tout récemment, « Supplique pour être enterré à Hénin-Beaumont », d'Abdel Baraka, très applaudi par les Héninois.

« Je voulais montrer que ce n’est pas Marine Le Pen qui est chez elle, c’est moi qui suis chez moi, raconte-t-il. Dire aux gens que je suis un patriote, fils de mineur, que mon père côtoyait le père de celui qui vote FN. On est des enfants du pays. Ce ne sont pas les immigrés qui sont responsables de la situation. La politique, c’est vivre ensemble, pas diviser ! » Le directeur de cabinet du maire, lui, se prend à espérer : « Bientôt, on ne dira plus “Hénin-Beaumont, la ville de fachos mais la ville à côté du Louvre-Lens”. »

 

 




07/06/2012
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