circulez rien à voir blog de la section socialiste des 3 pointes

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conflit d'intèrêts au sommet de l'état

article de médiiapart sur un conflit d'intèrêts au plus haut sommet de l'état.les hommes changent manifestement pas les pratiques???

 

Ce que l'affaire Pigasse révèle sur le capitalisme parisien

Le choix par Bercy de la banque Lazard, dirigée en France par Matthieu Pigasse, comme banque d’affaires pour la constitution de la Banque publique d’investissement (BPI), a déclenché une véritable tempête dans les sommets du pouvoir socialiste. Non sans raison. Car si Arnaud Montebourg, le ministre du redressement productif, a assuré ne pas être à l’origine de la décision et a contesté être en conflit d’intérêts dans ce dossier, des conflits d’intérêts, cette affaire en révèle de nombreux. Et surtout, elle vient illustrer les tristes habitudes de Bercy qui, au fil des ans, a été gravement contaminé par les mœurs du monde de la finance.

En clair, s’il n’y a pas « d’affaire Montebourg », il y a assurément une « affaire Pigasse ». Le dossier soulève une question majeure : comment les socialistes espèrent-ils créer une banque nouvelle, ne retombant pas dans les errements et les dérives des banques privées qui sont au cœur de la crise économique historique que nous traversons depuis 2007, en faisant appel, pour lancer ce projet, à l’un des établissements français les plus emblématiques du monde fou et dérégulé de la finance en même temps que du capitalisme de connivence à la française ?

Voyons donc d’abord les faits et les premières polémiques qu’ils ont suscitées. Tout s’est emballé, jeudi, quand des articles ont laissé entendre que Bercy avait confié à la banque Lazard le mandat pour aider l’État à constituer la Banque publique d’investissement, l’une des propositions phare du candidat socialiste pour contourner les comportements spéculatifs des grandes banques privées et doter la France d’un établissement œuvrant à un financement intelligent de l’économie.

C’est Le Nouvel Observateur daté du 30 août qui a mis le feu aux poudres en suggérant que le projet pouvait être entaché, dès sa conception, d’un grave conflit d’intérêts. Révélant que Matthieu Pigasse avait obtenu ce mandat pour conseiller le gouvernement lors de la création de la future Banque publique d'investissement, il a pointé au détour de son enquête qu'au moment où cette décision était prise, le même banquier d’affaires nommait Audrey Pulvar, la compagne d'Arnaud Montebourg, à la tête du magazine Les Inrockuptibles dont il est le propriétaire.

Aussitôt, Arnaud Montebourg, qui doit exercer une tutelle sur la BPI, en partage avec le ministre des finances, Pierre Moscovici, s’est insurgé que l’on puisse faire un pareil rapprochement. Sur son compte twitter, il a d’abord nié une première fois être à l’origine du choix de la banque Lazard. « Ces informations sont fausses et les rumeurs désobligeantes. Elles doivent être démenties immédiatement », pouvait-on lire sur son tweet.

Les dénégations de Montebourg et Moscovici

Dans un communiqué publié ce même jeudi, Arnaud Montebourg a ensuite ajouté : « Aucune mission portant sur la Banque Publique d'Investissement, ou tout autre sujet, n'a jamais été confiée à M. Pigasse ou à la Banque Lazard par le ministère du Redressement productif. » Il rappelait ensuite, « sur ce dossier comme sur tous les autres, son attachement à toujours agir dans la plus grande transparence et au nom des intérêts de la France ». Arnaud Montebourg a enfin souligné qu'il n'a « jamais rencontré Matthieu Pigasse avant l'embauche d'Audrey Pulvar aux “Inrocks” ».

Dans une longue dépêche relatant les rebondissements de cette polémique, l’AFP apportait de son côté ces précisions : « À Bercy, dans l'entourage du ministre de l'économie, on explique aussi ce jeudi, que c'est l'Agence des participations de l'État (APE), sur laquelle Pierre Moscovici et Arnaud Montebourg exercent leur cotutelle, “qui a proposé de passer un contrat avec Lazard pour nous assister”. Mais la décision a été prise par Pierre Moscovici, “car c'est lui qui est en charge du dossier de la Banque publique d'investissement”, et non par Arnaud Montebourg, a-t-on insisté de même source. Jusqu’à cet épisode, plusieurs médias avaient fait état de la rivalité entre les deux hommes autour de ce dossier, chacun cherchant en fait à tirer la couverture à lui. »

Malgré ces confidences « off » du cabinet du ministre des finances, la polémique a continué à prospérer. En marge de l'université d'été du Medef à laquelle il était invité, ce même jeudi, Arnaud Montebourg en a dit encore un peu plus. Interrogé par des journalistes, il a assuré que le choix de la banque Lazard relevait du seul ministère de l'économie et qu'il le « regrettait ». Et il a fait valoir cet argument : « La Banque publique d'investissement, je trouve qu'elle ne peut pas être réalisée par des banquiers, parce que faire une banque qui ressemblerait à d'autres banques, ce n'est vraiment pas ce que l'on cherche à faire. »

Pour finir, Pierre Moscovici s’est donc résolu à publier un communiqué de presse (il est ici), confirmant qu’Arnaud Montebourg n’a joué aucun rôle dans le choix de Matthieu Pigasse et de la banque Lazard. Le communiqué confirme que c’est l’Agence des participations de l’État (APE) et la direction générale du Trésor qui ont procédé à la sélection de la banque d’affaires. À l’origine, il y aurait eu quatre offres, qui auraient donné lieu à des auditions le mardi 7 août.

Explication du ministre des finances : « Lors des auditions organisées par l'APE et la DG Trésor le mardi 7 août, ces quatre banques ont présenté leur compréhension du dossier BPI, les équipes qu'elles pourraient mettre rapidement à disposition de cette mission ainsi que la rémunération demandée. Sur la base de ces auditions et des documents de présentation remis par les candidats, l'APE et la DG Trésor ont recommandé au ministre de l’économie et des finances la sélection de la banque Lazard Frères. Cet établissement a en effet présenté la meilleure offre, au regard des attentes exprimées et du prix, pour apporter un appui strictement technique à la mise en œuvre des décisions du gouvernement. La rémunération du conseil de l’État inclut celle d’un conseil juridique, qu’il s’est adjoint à la demande de l’État. »

Conclusion du communiqué : « Le ministre de l’économie et des finances, seul ministre en charge de cette responsabilité, a accepté cette proposition. »


Effet boomerang pour la gauche

Ces dénégations en cascade n’ont pourtant pas mis un point final à la controverse. Au contraire, celle-ci s’est même propagée jusque dans les instances dirigeantes du Parti socialiste. Interrogé vendredi au micro de RTL sur les risques de conflit d’intérêts, le maire socialiste de Paris, Bertrand Delanoë, a répondu qu’il fallait « faire attention ». « Il faut y faire attention. En responsabilité importante depuis onze ans et demi, je sais qu’il faut veiller à ce genre de choses », a-t-il dit, avant d’ajouter : « Soyons vigilants et exigeants (…) L’exigence, elle est pour tout le monde, j’espère que nous veillerons à ne pas commettre ces fautes que commettait Monsieur Sarkozy. »

En bref, la polémique a démarré subitement. Et aucun démenti n’a semblé de nature à y mettre un terme. Ce qui, en vérité, n’a rien de vraiment surprenant. Car même si Arnaud Montebourg et Pierre Moscovici disent vrai et si, pour résumer, l’embauche d’Audrey Pulvar à la tête de la rédaction des Inrocks par Matthieu Pigasse n’a strictement rien à voir avec l’obtention par le même Matthieu Pigasse du mandat de l’État pour la création de la BPI, l’irruption du banquier d’affaires dans ce dossier pose des questions en cascade. Et révèle des conflits d’intérêts, même si ce ne sont pas ceux pointés par les médias au début de la controverse.

À la manière d’Alain Minc, dont il a longtemps été le protégé avant de se brouiller avec lui, Matthieu Pigasse vit en effet à la charnière de plusieurs mondes. Celui de la presse, puisqu’il est donc propriétaire des Inrocks mais aussi copropriétaire du Monde, aux côtés de ses deux richissimes amis, Pierre Bergé et Xavier Niel – de surcroît, il ne fait pas mystère que Libération l’intéresse et a eu des contacts préliminaires avec ses dirigeants (lire Le banquier d’affaires Pigasse convoite Libération). Celui des affaires puisque comme banquier, il est au cœur de très nombreux « deals » qui agitent le capitalisme parisien. Et enfin, celui de la politique puisque toujours pour Lazard, il intervient fréquemment comme banquier d’affaires pour le compte de l’État ou de structures publiques ou parapubliques.

Or, ce mélange des genres est, par nature, hautement malsain. Il abîme la presse et entache son indépendance, tout comme il fait peser sur la vie des affaires une légitime suspicion. D’où une légitime revendication démocratique qui revient fréquemment dans le débat public : quiconque dépend peu ou prou des commandes publiques ou est en relation d’affaires avec l’État ne saurait dans le même temps contrôler des journaux ou des médias audiovisuels.

À bon droit, la gauche a souvent fait ce grief à la droite de tolérer des situation choquantes de conflits d’intérêts de ce type, en pointant les situations de Martin Bouygues ou de Serge Dassault, influents patrons de presse et néanmoins à la tête d'empires sollicitant des commandes publiques. Il est donc logique que les socialistes, dans un effet boomerang, soient aujourd’hui interpellés sur les bonnes affaires du banquier d’affaires Matthieu Pigasse, et sur sa proximité avec certains cénacles socialistes. Question de bon sens mais aussi question de principe : est-il un seul instant concevable qu’un patron de presse soit en relation d’affaires avec l’État ? C’est démocratiquement inconcevable.

Le parcours révélateur du banquier d'affaires

Or, à l’évidence, le ministère des finances ne semble pas s’en soucier. Et il faut bien le dire : le mauvais exemple vient encore de plus haut. François Hollande n’a en effet rien trouvé de plus normal, juste après son élection, que d’enrôler à l’Élysée comme conseiller pour la culture et la communication David Kessler, qui était jusque-là le bras droit de… Matthieu Pigasse, en charge de son pôle médias (lire La gauche, les médias et les conflits d’intérêts et La gauche, les médias et les conflits d’intérêts II). En quelque sorte, le chef de l’État a accepté que s’installe une dangereuse porosité entre le pouvoir et la vie des affaires et a fait mine de croire que du jour au lendemain, le fondé de pouvoir de gros intérêts privés dans le monde de la presse pouvait, sans le moindre conflit d’intérêts, devenir son conseiller dans le même secteur, pour défendre l’intérêt général.

Mais l’affaire Pigasse soulève une autre question, tout aussi grave, esquissée par Arnaud Montebourg : est-il un seul instant concevable que cette banque nouvelle que doit être la Banque publique d’investissement soit conçue, au moins partiellement, par une banque issue du monde fou de la finance, celui-là même qui a conduit la planète dans l’ornière ? Si les socialistes ont défendu l’idée judicieuse de créer cette banque publique, c’est parce qu’ils en sont venus à la conviction que les grandes banques privées avaient non seulement failli à leur mission originelle, celle du financement de l’économie, mais qu’elles avaient, de surcroît, une grande part de responsabilité dans la crise financière.

Alors, comment croire que l’on va faire du neuf avec du vieux ? Comment croire que la BPI va innover dans l’univers de la banque si le conseil de l’État est l’un des emblèmes de l’univers avec lequel il est précisément question de rompre ? Comme le suggère Arnaud Montebourg lui-même, cela n’a évidemment ni queue ni tête.

Cette schizophrénie de Bercy apparaît d’autant plus stupéfiante que Matthieu Pigasse a lui-même un parcours très particulier. Ancien directeur adjoint de cabinet de Dominique Strauss-Kahn puis de Laurent Fabius au ministère des finances, à l’époque du gouvernement Jospin, il a en 2002 cessé de travailler pour l’intérêt général et est parti faire fortune à la banque Lazard en se mettant au service de gigantesques intérêts privés.

Il a ainsi amassé des honoraires colossaux en conseillant des groupes financiers parisiens : il a par exemple conseillé les Caisses d’épargne quand elles ont violé leur pacte d’actionnaires avec la Caisse des dépôts et il les a aidées à créer la banque d’investissement Natixis, qui, avec la banque Dexia, est l'un des plus grands krachs bancaires français.

Et le ministère des finances voudrait aujourd’hui faire croire que tout cela est dans l’ordre normal des choses ? Qu’un haut fonctionnaire peut abandonner le service de l’État pour défendre des intérêts privés et tout aussitôt après être le conseil de l’État pour fonder une banque qui retrouve le sens de l’intérêt général ? Qu’un banquier d’affaires qui a été l’un des concepteurs de Natixis, la banque calamiteuse par excellence, peut aujourd’hui inventer une banque nouvelle, qui a pour ambition d’être l’exact contraire de la même banque Natixis ? Tout cela est évidemment absurde.

Et c’est se bercer d’illusion – ou tromper l’opinion – que de penser que la banque Lazard, qui de longue date est la banque opaque du capitalisme de connivence français, peut contribuer d’une manière ou d’une autre à régénérer l’univers de la banque. C’est la morale de cette ténébreuse histoire : elle révèle que l’oligarchie, par nature, cherche perpétuellement à survivre à toutes les alternances. Après Alain Minc, voici donc son clone, Matthieu Pigasse. Vieux et triste principe de la politique : il faut que tout change pour que rien ne change…



03/09/2012
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