circulez rien à voir blog de la section socialiste des 3 pointes

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Vaste marché de dupes(par Richard Bloc'h,conseiller du salarié)

Nous reproduisons ici un article de notre ami Richard Bloch (conseiller CGT du salarié). Cet article est paru dans la revue Démocratie&Socialisme n°234 d’avril 2016.

Si négocier un compromis ne choque personne dans son principe, il convient tout de même d’en vérifier les termes et surtout les résultats. Comme Valls et ses amis sont peu enclins à l’établir, nous faisons ci-dessous le bilan des lois « de compromis » votées depuis la victoire de 2012.

Les tenants de la loi El Khomri nous expliquent à longueur de colonnes et d’images que seul le compromis entre travail et capital offre une solution viable aux problèmes économiques auxquels nous sommes confrontés. Dans le même temps, ils nous expliquent que les compromis conclus sous leurs auspices sont équilibrés et le curseur entre salariés et employeurs idéalement placé : précisément là où les deux parties peuvent les accepter. Ils s’appuient d’ailleurs sur la qualité des signataires pour démontrer qu’ils sont dans le vrai. Il est permis d’en douter Avant la loi Macron – sur laquelle il serait trop long de revenir ici –, nous disposions de trois textes majeurs fondés sur la notion de compromis social. C’est amplement suffisant pour vérifier l’efficacité d’une ligne politique.

Premier compromis : l’accord national interprofessionnel de janvier 2013

Pertes côté salariés 
- exonération des cotisations chômage pour un jeune de moins de 26 ans embauché en CDD durant 3 ou 4 mois selon la taille de l’entreprise (article 4) 
- extension du recours à l’intermittence (article 22) 
- passage du 4e au 1er rang du critère de compétences professionnelles pour établir l’ordre des licenciements économiques (article 23) 
- inopposabilité des irrégularités de forme dans une procédure de licenciement (article 24) 
- première mise en forme des plafonds prud’homaux qui n’obligent pas le juge (article 25) 
- prescription en matière salariale passée de 5 à 3 ans (article 26)

Gain côté salariés 
- généralisation de la mutuelle (article 1) 
- portabilité de la mutuelle (article 2) 
- création d’un droit rechargeable à l’indemnisation chômage (article 4) 
- augmentation cotisation patronale chômage pour les CDD (article 4) sauf si suivi par un CDI. 
- création d’un compte personnel formation (article 5) 
- assouplissement des conditions d’accès à la formation (article 6) 
- fixation d’un minimum de 24 heures de travail pour un temps partiel sauf si demande écrite du salarié. Paiement au minimum à 110 % des heures complémentaires (article 10)

Cet accord contient également la création d’une base de données remplaçant les informations obligatoires aux IRP (article 12). Il a été signé par le MEDEF, la CGPME et l’UPA côté employeurs et la CFDT, la CFTC et la CGC, côté salariés.

Trois ans plus tard

La généralisation de la mutuelle, qui est factuellement un gain, s’est immédiatement traduite par une curée des assureurs privés sur la part dévolue jusque-là aux mutuelles. Cette ruée se traduit dans les faits par l’augmentation des cotisations lorsque toute la famille était auparavant couverte par une seule mutuelle. Désormais, il est acquitté autant de cotisations qu’il y a de salariés dans la cellule familiale. Les garanties couvertes sont tellement faibles qu’il faut payer en plus une « sur-mutuelle ». Enfin, beaucoup plus grave, la part patronale des cotisations mutuelles a été immédiatement rendue imposable en tant « qu’avantage en nature » par le gouvernement. Tous les salariés – et ils sont nombreux à être déjà assurés avant cet accord – sont donc devenus imposables sur la cotisation patronale. Ce qui pouvait ressembler à une avancée sociale majeure s’est dans les faits traduit par un recul !

Le droit rechargeable à l’indemnisation chômage s’est quant à lui traduit par un abaissement significatif de l’indemnisation chômage via le mécanisme mis en place par Pôle emploi. À tel point qu’il a fallu revenir dessus quelques mois après. Là aussi, ce qui pouvait paraître de prime abord comme une avancée s’est dans les faits traduit par un recul.

L’augmentation des cotisations patronales chômage pour les CDD (article 4) a été compensée financièrement par l’exonération des cotisations chômage pour un jeune de moins de 26 ans embauché en CDD pendant plusieurs mois. Au final, non seulement le dispositif « anti-CDD » n’a rien coûté aux employeurs, mais les comptes faits montrent que pour une augmentation de 70 millions d’euros des charges sur les CDD, l’exonération compensatrice a coûté 74 millions d’euros à Pôle emploi, soit une baisse des cotisations employeurs de 4 millions d’euros qu’il faudra bien compenser par une hausse quelque part.

En outre, la fixation d’un minimum de 24 heures de temps partiel est illusoire puisqu’il suffit d’une demande écrite du salarié pour en être exonéré. La réalité, c’est que soit le salarié rédige une demande écrite en ce sens, soit il n’est pas embauché. À tel point que la loi El Khomri annule dans les faits cette disposition.

En revanche les avantages accordés aux employeurs leurs permettent : 
- d’étendre l’intermittence avec son cortège de voyouteries bien connues ; 
- de licencier économiquement en privilégiant le critère le plus subjectif d’ordre des licenciements, critère qu’ils sont les seuls à manipuler ; 
- de ne pas respecter certaines formes de licenciements, formes qui n’ont pas été mises en place pour le plaisir, mais pour garantir que les droits individuels sont bien respectés ; 
- d’introduire le plafonnement des indemnisations prudhommales, plafonnement pourtant jugé inacceptable par la CFDT ; 
- de ne plus payer des arriérés de salaires et heures supplémentaire pendant deux ans de plus ; 
- d’économiser 4 millions d’euros de cotisations UNEDIC.

Second compromis : loi sur les retraites janvier 2014

Pertes côté salariés 
- allongement de la durée des cotisations pour une retraite à taux plein de 40 à 43 ans 
- passage de l’âge légal de retraite de 60 à 62 ans 
- financement de la prise en compte des nouvelles cotisations vieillesse des apprentis par l’assurance vieillesse 
- décalage de six mois du calcul de revalorisation des retraites, sauf pour les petites pensions 
- le cumul emploi-retraite ne créera plus de droits nouveaux à la retraite et ne pourra pas dépasser 160 % du smic.

Gain côté salariés 
- prise en compte (incomplète, mais c’est une avancée) du temps d’apprentissage dans les annuités comptant pour la retraite. 
- retraite progressive possible à partir de deux ans avant l’âge légal de la retraite (c’est-à-dire à partir de 60 ans – comme avant donc) 
- trimestres comptabilisés à partir de 150 heures cotisées au lieu de 200 avec report possible des cotisations non validées sur l’année précédente ou suivante. 
- élargissement à la marge des périodes prisent en compte pour la validation des trimestres. 
- rachat possible des trimestres d’étude 
- création d’un compte pénibilité.

Deux ans plus tard

Toutes les réformes défavorables aux salariés ont été mises en place. La grande avancée, et c’en est une, qu’est le compte pénibilité, attend toujours ! Non seulement cet accord est très défavorable aux salariés, mais sa seule avancée n’est pas mise en place et le sera a minima face au tir de barrage du patronat.

Troisième compromis : l’accord UNEDIC de mars 2014

Pertes côté salariés 
- passage de l’indemnisation de 57,4 % à 57 % (article 4) 
- perte de droits concernant les intermittents du spectacle (article 5) 
- augmentation conséquente du différé d’indemnisation (délai de carence) dont le plafond passe de 75 à 180 jours et modification de son mode de calcul. (article 6)

Gain côté salariés 
- mise en œuvre des « droits rechargeables » (article 1)

Cet accord contient également une réforme du calcul de l’indemnisation chômage en cas d’activité réduite (article 2) et de « multi-employeur » (article 3).

Il a été signé par le MEDEF, la CGPME et l’UPA, côté employeurs, et FO, la CFDT, la CFTC et la CGC, côté salariés. Cette signature est intervenue dans des conditions particulières puisqu’une suspension de 12 heures a eu lieu, durant lesquelles les discussions se sont tenues en excluant la CGT.

Deux ans plus tard

Le seul gain de cet accord réside dans la mise en œuvre des « droits rechargeables » qui relevaient initialement d’une bonne idée, mais aboutissait, comme on l’a vu plus haut, à un recul de nombreuses indemnisations et qu’il a donc fallu modifier en catastrophe vu les situations sociales créées.

Les pertes, elles, ont été encaissées « cash ». La question des délais de carence a non seulement abouti à un recul très important, mais a également eu l’effet pervers de gommer d’un seul coup tous les acquis des conventions collectives plus favorables que le Code du travail en matière d’indemnités de licenciement. En effet, le mode de calcul utilise le différentiel entre l’indemnité légale de licenciement (celle du Code du travail) et ce que touche effectivement le salarié (l’indemnité conventionnelle ou le cas échéant l’indemnité de rupture conventionnelle) pour calculer la carence au-delà des 7 premiers jours.

Quelle ligne politique tracent ces quatre textes ?

Comme on le voit, en regardant non seulement ce qui a été signé, mais surtout ce qui a été mis en œuvre, la notion de compromis est singulièrement absente des textes. Les réformes affichées par les signataires salariés comme des victoires ont eu de tels effets pervers qu’on peut les interpréter facilement comme des défaites, les autres n’ayant pas vu le moindre commencement de mise en œuvre. Ces texte mettent en œuvre beaucoup de flexibilité et réduisent substantiellement la sécurité des salariés. De deux choses l’une : soit ce sont des marchés de dupes signés par des inconscients, soit ils illustrent bel et bien une volonté politique partagée.



11/05/2016
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