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réduction du temps travail ou la solution que l'on nous cache

Les inspecteurs de l’Igas réhabilitent les 35 heures

18 JUILLET 2016 | PAR CAROLINE COQ-CHODORGE

Mediapart publie le rapport sur les politiques de réduction de temps de travail, censuré par l’Igas. Un document qui démontre, dans son contenu comme par sa censure, à quel point ce débat est « polémique » et« biaisé ». Voici les réflexions et les propositions qui ont failli manquer au débat public.

L’Inspection générale des affaires sociales n’aura pas retenu très longtemps le « Rapport d’évaluation des politiques d’aménagement-réduction du temps de travail dans la lutte contre le chômage ». Sa censure inédite par le chef de l’Igas a scandalisé en interne, des inspecteurs l’ont fait fuiter. Seuls ses auteurs resteront inconnus : ils n’ont pas signé leur travail, daté de mai dernier. Il leur appartient pourtant, puisque l’Igas a refusé de le communiquer au gouvernement. Aucune naïveté chez eux, dès l’introduction du rapport, ils écrivent : « Compte tenu du caractère polémique de cette question depuis une quinzaine d’années, la mission a souhaité appréhender le sujet sous une forme globale, la plus objective et la plus précise possible. »  

 

 

Dans une première partie, les inspecteurs se livrent à une analyse de l’évolution du temps de travail dans différents pays développés et veulent« rappeler des faits trop souvent méconnus ». Par exemple que « la durée du travail diminue dans tous les pays européens » ou que « la durée effective du travail en France n’est pas particulièrement basse par rapport à celles des autres membres de l’Union européenne si l’on considère le temps de travail de tous les salariés, et pas seulement ceux à temps complet ». Les inspecteurs soulignent à quel point « se focaliser sur la seule durée à temps complet » – qui permet parfois de conclure que « les Français ne travaillent pas assez » – est « extrêmement trompeur ». L’Allemagne, l’Espagne ou l’Italie, dont la durée légale est plus haute qu’en France, ont de leur côté eu recours au « développement massif » du temps partiel. Autre tendance européenne commune : le travail s’est intensifié, la France faisant partie d’un groupe de pays où l’intensité est moyenne mais a augmenté fortement.

 

ediapart

 

Les inspecteurs s’attachent à évaluer la pertinence des différentes politiques conduites. Pour eux, « les politiques de réduction de la durée légale du travail permettent de créer, au moins à court terme, de l’emploi à condition de respecter des conditions strictes », à savoir « la maîtrise de l’évolution des coûts salariaux »et « le financement de ce type de politique ». Pour eux, les lois Aubry ont satisfait à ces conditions. Et ils tranchent le débat sur le nombre d’emplois créés par les 35 heures : 350 000 entre 1998 et 2002. Pour eux, « les arguments avancés pour contester ces créations d’emploi apparaissent fragiles ». Et « s’agissant de l’effet négatif des lois Aubry sur la compétitivité, aucun élément ne permet de confirmer cette affirmation », poursuivent-ils. Les inspecteurs sont plus critiques sur les politiques qui ont développé le temps partiel, expérimentées en France entre 1993 et 2002. Elles ont créé « au plus 150 000 emplois ». Mais ils estiment qu’un « temps partiel de qualité », autrement dit en CDI, « peut faciliter l’emploi de certains publics » : les populations précaires, les parents de jeunes enfants, les seniors. 

Réduction de la durée légale du travail et plus grande flexibilité ne sont pas incompatibles : c’était même l’équilibre recherché par les lois Aubry. Mais les inspecteurs relèvent que peu d’entreprises françaises se sont emparées de cette« flexibilité interne » et qu’elles ont plutôt eu recours à la « flexibilité externe », les contrats courts. La France se distingue même « par un recours aux contrats courts, et notamment très courts, particulièrement fort depuis une quinzaine d’années ». Pourtant, les salariés français semblent ouverts à « une plus grande individualisation des horaires » et à un « surcroît de flexibilité dans leur temps de travail dès lors qu’ils participent à la fixation des plannings et des horaires individuels », affirment les inspecteurs. Il faut selon eux « aider les acteurs à s’approprier ces modalités de flexibilité interne ». En revanche, ils sont catégoriques sur le recours, en période de faible croissance, aux heures supplémentaires pour gagner en flexibilité : il « présente un fort risque d’effet d’aubaine et pèse négativement sur l’emploi ». Il y a là de quoi éclairer le débat autour de la loi sur le travail.

En creux, un niveau de critique est formulé contre les lois Aubry : « Le temps de travail est rarement envisagé en France sur une période longue correspondant à la durée de la vie professionnelle. » Les données manquent pour savoir si les Français se saisissent des possibilités offertes par le code du travail : congé sabbatique, congé de proche aidant, etc. L’utilisation des comptes épargne temps est également mal cernée, mais le plus vraisemblablement est qu’ils soient plutôt utilisés comme un « complément de revenus différés ».

             Le rapport se conclut sur 10 recommandations :

1- Favoriser les temps partiels, mais à 80 % (payé 90 %), ou 90 % (payé 95 %), tout en veillant à ce qu’ils ne s’appliquent pas majoritairement aux femmes.   

2- « Proposer aux entreprises qui le souhaitent une démarche incitative de réduction collective de la durée du travail de 10 % », en redéployant les exonérations de charges sociales. Revient ici l’idée de la semaine de 32 heures.

3- Cibler la réduction du temps de travail des cadres avec pour objectif la création d’emplois, dans le cadre d’accords d’entreprises. Leur durée hebdomadaire de travail pourrait ainsi être plafonnée à 44 heures. 

4- Réformer la Prestation partagée d’éducation de l’enfant (Prepare) pour limiter le retrait d’activité des femmes et favoriser le temps partiel des membres du couple.

5- Assurer la montée en puissance de la retraite progressive.

6- Les inspecteurs se saisissent du fantomatique Compte personnel d’activité (CPA) pour en faire « un outil de gestion du travail tout au long de la vie ». Les comptes épargne temps (CET) seraient transférés vers le CPA, valorisé en points formation. Ils permettraient aux salariés de financer des « césures longues ou un passage momentané à temps partiel, à des fins de sécurisation des parcours professionnels (formation, immersion dans une nouvelle activité...) ».

7- Création d’un « congé de soutien familial ambitieux » pour répondre au besoin d’accompagnement, de plus en plus grand, des personnes âgées dépendantes. 

8- Développer la « participation collective des salariés à la détermination de leurs horaires, dans le respect de la compétence des représentants du personnel » pour qu’ils se saisissent des possibilités de « flexibilité interne » dans l’organisation du temps de travail. En contrepartie, les inspecteurs proposent de surtaxer les contrats courts, dès lors que les entreprises en abusent.

9-  Créer une « plateforme nationale de l’emploi partagé », où les entreprises feraient connaître leurs besoins en temps partiel pour développer le multisalariat, c’est-à-dire le cumul d’emplois à temps partiel. 

10- « Mettre en place un système de “job rotation” à la française » : inciter les petites et moyennes entreprises à laisser partir un salarié en formation longue (au moins 3 mois), en faisant prendre en charge par Pôle emploi une partie du salaire de son remplaçant, au chômage depuis au moins 6 mois.

Il n’y a donc rien de polémique dans ce rapport technique, à moins de considérer que l’organisation du temps de travail est un sujet trop partisan pour un corps de haut fonctionnaire. En conclusion, les inspecteurs soulignent à quel point ce débat «  biaisé » conduit à « sous-estimer » les « pistes d’amélioration quantitative et qualitative » qu’offrent « les politiques du temps de travail ».

Le Syndicat des membres de l’inspection générale des affaires sociales (SMIGAS) a, une nouvelle fois, communiqué en interne à travers une lettre que nous nous sommes procurée. Il insiste sur « le caractère décalé et inacceptable » des déclarations dans Mediapart, puis dans Le Monde du chef de l’Igas, Pierre Boissier, qui a mis en cause la qualité du rapport, ainsi que ses auteurs. Cette administration règle en effet ses différends en interne et doit respecter les« droits à la défense », insiste le syndicat. Au Monde, Pierre Boissier a assuré que cette décision de non-transmission du rapport, c’est-à-dire de censure, a été prise en accord avec le relecteur du rapport. Mais le SMIGAS s’est procuré l’avis du relecteur et il « ne demande pas la non-transmission du rapport au gouvernement. Pour l’essentiel, cet avis, circonstancié, souligne d’une part, le très gros travail fourni par l’équipe d’inspection ; d’autre part, la formulation de conclusions et propositions qui s’éloignent de la pensée d’économistes qualifiés de “conventionnels” ». Les inspecteurs auraient donc commis la faute, d’ordre idéologique, de s’ouvrir à des réflexions d’économistes « hétérodoxes » sur les politiques du temps de travail. Ils assurent pourtant avoir trouvé des « pistes d’amélioration quantitative et qualitative » pour lutter contre le chômage.



18/07/2016
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