Frangy-en-Bresse de notre envoyée spéciale. – Il y avait du soleil et du monde ce dimanche, au traditionnel rendez-vous estival de Frangy-en Bresse. Surtout beaucoup de journalistes. Le matin même, Arnaud Montebourg avait présenté dans leJDD son « projet France ». Et un peu avant 16 h 30, il a confirmé l’essai, prononçant la formule fatidique au milieu d’un discours-fleuve : « Je suis candidat à la présidence de la République française. » Face à lui, un homme fait l’objet de ses griefs avant tous les autres : François Hollande.
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e édition de cette fête de la rose, rebaptisée cette année fête populaire, n’était ornée d’aucun logo du parti socialiste. Évoquant son positionnement, Arnaud Montebourg met de la distance dès le début de son discours.
« Est-ce un projet socialiste ? Oui, pour une grande part, par filiation (…) mais pas seulement », annonce l’orateur, qui dit aussi
« puiser son inspiration dans les sources du gaullisme social ». Longuement, il s’échine à se dissocier de l’action du gouvernement, explique que ses alertes n’ont pas trouvé d’écho lorsqu’il était ministre.
« La faute que j’ai commise, c’est celle de n’avoir pas réussi à infléchir, corriger, convaincre. Car la bataille intérieure au sein du gouvernement auquel j’appartenais fut sévère, sérieuse et ininterrompue (...) le million de chômeurs prévisible de plus entré à Pôle emploi, sachez-le, les plus hautes autorités en ont été dûment averties, dûment prévenues, mais elles n’ont pas bougé de leur Aventin et de leurs fausses certitudes », assure-t-il.
Et surtout, il tape sur le président de la République. « L’échec qui est le nôtre devant la France provient du reniement et du renoncement », dit-il. « Si je suis candidat au rassemblement d’une majorité de Français, c’est d'abord parce qu’il m’est impossible, comme à des millions de Français, de soutenir l’actuel président de la République », tranche Arnaud Montebourg avant d’appeler « fraternellement » François Hollande à« bien réfléchir à sa décision », en lui demandant de renoncer à une éventuelle candidature en 2017. « Si ce renouvellement ne s’organise pas maintenant, si nous nous résignons à tenter de reconduire l’actuel président, les Français nous sanctionneront durement, et ils auront raison de le faire », ajoute-t-il.
Aussi loin de François Hollande qu’il veuille se situer, Arnaud Montebourg a l’ambition de faire passer un autre message : il n’est pas seul pour autant. Environ 700 repas ont été prévus, sans compter la presse. Le directeur de campagne de l’homme du jour, François Kalfon, se félicite à de nombreuses reprises de la présence de parlementaires. « Ils voulaient tous leurs députés, ils ont leurs députés », glisse le conseiller régional d’Île-de-France (PS) à l’attention de la presse. Prenant la parole pendant le repas, la députée Cécile Untermaier enfonce le clou, listant plus d’une quinzaine de parlementaires présents en Bourgogne, dont la compagne d’Arnaud Montebourg, Aurélie Filippetti. Un parlementaire suisse a également fait le déplacement.
Parmi les soutiens anonymes, on compte quelques marinières, en souvenir de la photo de l’ex-de Bercy en une du Parisien Magazine. Certains sont là pour la première fois, comme Daniel et Marguerite, déçus d’un quinquennat où Hollande « n’a pas respecté ce qu’il avait dit » et qui souhaitent « revenir à un socialisme genre Mitterrand ». C'est une référence qui fait sens aussi pour Jacky, venu de Château-Chinon. Sur son tee-shirt noir, il a fait imprimer en jaune fluo « Je vote Arnaud Montebourg ». Il confie n’avoir jamais voté que pour ce dernier et… pour François Mitterrand justement. « Ce sont tous les deux des visionnaires qui vivent la France. Montebourg est capable d’instiller une part d’utopie dans la politique tout en ayant une vision », veut-il croire.
Marie-Louise et Mireille, deux septuagénaires, sont installées en plein soleil une heure avant le discours. Elles réclament un retour à « la vraie gauche » tout en regrettant qu’Arnaud Montebourg ne soit pas resté « soudé » avec Benoît Hamon. « Ça aurait été plus sûr », estiment-elles. Celui qui s'est fait renvoyer du gouvernement en 2014 après être venu à Frangy avec Arnaud Montebourg lui a grillé la politesse en annonçant dès le 16 août sa candidature à la primaire « de la Belle Alliance ».
Après un timide ban bourguignon, Arnaud Montebourg, tout sourire, fait le tour des convives, sous l'œil d’une nuée de caméras : « Salut ! content de te voir ! », lance-t-il. Assis à la table en question, Patrick Souteyrand est un militant communiste. Ex-élu à la mairie de Louhans, il est venu car il est « prêt à suivre quelqu’un capable de rassembler les forces de la vraie gauche ». Celui qui a voté Jean-Luc Mélenchon au premier tour en 2012 se dit un peu gêné par le fait que le leader du Front de gauche se soit cette fois« autoproclamé candidat ». Quant à Montebourg, il le connaît bien. « Bien sûr, c’est l’homme de Florange, rappelle-t-il, mais on ne trouvera pas de candidat sans défaut », ajoute-t-il, soulignant le « charisme » de l’ancien ministre.
Sur scène, Montebourg, qui veut « que la société réforme les politiques », évoque tour à tour l’économie et le nécessaire retour au plein emploi, les attaques terroristes, la dislocation de l’Europe, le dérèglement climatique, le discrédit du système politique, le redécollage de l’économie française, le retour du pouvoir d’achat... Frangy doit lui permettre de renouer avec le socialisme de Pierre Joxe et François Mitterrand, prétend-il.
Aussi Arnaud Montebourg ne propose-t-il rien de moins que de faire adopter dès 2017 et par référendum « une République nouvelle » « que l’on pourra nommer la VIe ». Cette République s’appuiera sur un retour au septennat non renouvelable, une réduction du nombre de députés à 350, dont 50 élus à la proportionnelle intégrale, une réduction du nombre de sénateurs à 200, dont la moitié seront tirés au sort parmi les citoyens, la restriction de l’utilisation du 49-3 aux seules politiques budgétaires…
Denis Lamard, président des Amis de la rose, s’étonne qu’« à la fin des vacances, certains soient prêts à traverser la France » pour applaudir Montebourg. Le conseiller régional de Bourgogne-Franche-Comté y voit le signe que « quelque chose est en train de se passer ici, l’espoir de renouveau se lève et ce n’est pas de la rigolade ». Selon ce fidèle, la candidature d’Arnaud Montebourg permettra d’encourager « l’innovation et les talents de ce pays ».
Plus spécialiste des questions économiques et de son combat pour les entreprises Made in France, Arnaud Montebourg n’a cependant pu faire l’impasse sur le risque terroriste et la situation sécuritaire de la France. Parmi ses propositions marquantes, la création d’un service national « universel », pour les hommes et les femmes, civil et militaire, d’une durée de six mois. «Nous allons pouvoir organiser avec la participation de la population, chacun devenant acteur de notre sécurité collective, la présence civique et humaine sur tout le territoire national de policiers, de gendarmes, de dépositaires du service public, éduqués dans le respect de la République et la défense de notre bien commun », estime-t-il.
Par ailleurs, le candidat du « projet France » a tenu à envoyer des signaux pour une augmentation du pouvoir d’achat, annonçant l’annulation des hausses d’impôts qui ont eu lieu au cours des cinq dernières années (gouvernement Fillon inclus) et promettant aux locataires de logements sociaux des facilités pour accéder à la propriété.
Si le candidat n’a pas évoqué le passage par la case de la primaire, son entourage s’accorde à dire officiellement que ce serait la meilleure option. Arnaud Montebourg a en effet été l’un des chantres de ce système en 2011 ; il avait alors atteint la troisième place derrière François Hollande et Martine Aubry, avec 17 % des voix. Pour Denis Lamard, la primaire, c’est « oui, sauf si c’est une primaire de pacotille ». En clair, seulement dans les conditions de 2011 : avec 10 000 bureaux de vote et plusieurs millions de votants.
Pour l’heure, pour les soutiens de Montebourg, les règles ne sont pas assez claires. Le candidat se laisse donc jusqu’à la dernière limite, le 15 décembre, pour faire son choix. Primaire ou non, il est candidat « devant les Français ». Reste encore à approfondir le programme sur de nombreux points et à le chiffrer dans le but de réunifier la gauche. Mais c’est dit : Arnaud Montebourg est bel et bien en campagne.