On la voit en photo, avec le pape, avec Frédéric Mitterrand, avec Nicolas Sarkozy, avec Bernadette Chirac, avec William le prince de Galles, ou le jour de son mariage… Reportage habituel qui raconte une célébrité. Une preuve de vie, serait-on tenté de dire, tant l’existence de cette femme, en tant que personne est une espèce de tabou. On sait que Penelope Fillon existe, on ne parle que d’elle depuis que Le Canard enchaîné a révélé qu’elle était l’assistante présumée de son mari. Depuis lors, on s’accroche à ce qu’elle a pu dire dans le passé, ou à ce qu’elle pourrait dire dans le présent, mais à part des images d’archives, elle reste insaisissable. Plus on brosse son portrait et plus elle se dissipe.

 

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La longue évocation que lui consacre Paris-Match ne fait pas exception. Il s’agit d’un reportage people qui devrait rapprocher le public de son sujet, mais il nous en éloigne. Elle est encore plus diaphane, encore plus diffuse à la lecture du récit. En évoquant sa présence, Pauline Delassus et Pauline Lallement, les deux auteurs, ont buté sur son absence, et elles le disent de ligne en ligne. Extrait du premier paragraphe : « Être personnelle sans jamais se dévoiler ; se rendre aimable mais pas inoubliable. Tout un art… qui laisse au dessert un étrange goût d’inachevé. »

Un peu plus loin, cette autre phrase, curieuse dans le contexte : « Je serais horrifiée que l’on me reconnaisse. » Et ce commentaire troublant : « Elle se voudrait fantôme. »

Tout au long du papier, la Penelope de Sablé-sur-Sarthe est confrontée à la Pénélope de Brassens, l’une de ses plus belles chansons, et l’une des plus pathétiques : « Toi l’épouse modèle, le grillon du foyer, toi qui n’a point d’accroc dans ta robe de mariée, toi l’intraitable Pénélope, les soirs de vague à l’âme et de mélancolie, n’as-tu jamais en rêve, au ciel d’un autre lit, compté de nouvelles étoiles »… Une épouse de l’antiquité face à une femme d’aujourd’hui, qui ressemble à celles des années 1950, humble, soumise, résignée, et qui n’a pas le droit de parler sans l’autorisation de son mari.

En conclusion de l’article, François Fillon s’exprime d’ailleurs en tant que chef à l’ancienne : « Penelope est prête à parler, mais pour l’instant je ne suis pas pour. »

Ce qui frappe dans ce portrait à décharge, qui voulait être aimable, c’est qu’il accentue le trouble. L’affaire Fillon est si grave, ses conséquences politiques sont si lourdes au moment de l’élection présidentielle, et la déstabilisation même de l’édifice de la VRépublique est si avancée à deux mois du premier tour, qu’on avait oublié l’autre réalité, celle de cette femme. Elle n’était plus une personne mais un enjeu. Une pièce de l’échiquier dans une partie jouée par d’autres. En temps normal, la société française aurait pu s’indigner. En ces temps de crise, elle n’a pas réalisé.

 

 

Le spectacle est pourtant singulier. Cette femme de France, promise peut-être à devenir la première, se retrouve au cœur d’un cyclone, et elle ne dit pas un mot. Elle ne se défend pas. Elle est promenée dans un meeting, comme une égérie muette, sous un bâillon invisible. Toute la France ne parle que d’elle, et les seules déclarations sorties de sa bouche sont extraites de vieilles archives, dans lesquelles elle explique qu’elle aimerait exister. Elle n’a pas droit à la parole. Nous vivons dans une société troublée, qui s’inquiète officiellement de la mise sous tutelle des musulmanes, et cette mère de famille, femme d’un président potentiel, est gérée comme une enfant mineure.

En jugeant bon de la montrer dans un journal populaire, sans autoriser sa parole, les communicants de François Fillon ont ravivé un trouble. Derrière l’affaire des plus d’un million d’euros d’argent public recyclés en catimini dans la famille Fillon, se cache un mystère encore plus dérangeant. Celui de l’effacement du personnage central, l’assistante parlementaire nommée Penelope Fillon. Si elle n’est rien dans cette affaire, si elle s’est comportée comme la femme qu’on décrit, c’est-à-dire une épouse à l’ancienne, elle nous renvoie dans le passé. Une époque où les femmes n’avaient pas de comptes en banque, et où le chef de famille pouvait signer les contrats sans en parler à sa moitié.