Il y a plus d’un an, j’assistais à un CHSCT de France télécom dans le 2e arrondissement de Paris, rue Feydeau. Il y avait une trentaine de salariés présents, tous les syndicats, la direction, le médecin du travail. Il y avait deux cas de suicide, l’un ayant échoué, l’autre malheureusement “réussi”.L’homme, muté à maintes reprises depuis deux ans, a pété les plombs, est entré en colère contre une énième remarque de son chef de service, a quitté son poste, est rentré chez lui et s’y est pendu avec un câble France télécom. La réunion va durer plusieurs heures : le “chef” de France télécom, brutal, ne veut rien savoir, c’est un fait selon lui, distancié du travail, puisque le salarié est rentré “chez lui”, ça ne s’est pas passé dans le service… Je pousse à ce qu’il y ait une enquête prise en main par le CHSCT, qu’il y ait une “expertise”, qu’une commission soit créée pour faire un “rapport”. De toute ses forces, la hiérarchie s’y oppose. On nous fait croire que le salarié était accablé de problèmes personnels qui l’ont emporté. Mais chut, on ne peut pas dire lesquels. Il faudra une interruption de séance, en l’absence de la direction pour que deux cadres assistant au CHSCT, prennent la parole, en précisant qu’ils n’avaient pas pu le faire devant le chef : ils confirment, oui le salarié était dans le collimateur, oui, il était l’objet de vindicte, eux, là où ils sont, le savent, et ils le révèlent. Ensuite j’assistais à une journée d’étude nationale Sud-CGC sur le stress au travail : il y avait 450 présents, rue Charlot, à la Bourse à Paris. Croyez vous que la direction du travail s’est intéressée à cela ? Non, même mon directeur m’a reproché d’y être allé.
Devant ces suicides enfin révélés, Nicolas Demorand, le jeudi 8 octobre, demande à Darcos : « Y a t’il obsolescence du droit du travail ?”. « Bien sûr » répond Darcos pourtant ministre du travail.
Bien sûr mais parce la droite et le Medef ont affaibli le Code du travail “recodifié” et ses usages toutes ces dernières années. Bien sûr que ce ne sont plus les coups de grisou qui tuent, mais les accidents cardiaques et vasculaires liés au travail. Bien sur que le karushi, le burn out, le stress, tuent. Voilà des années que 9 plaintes sur 10 à l’inspection du travail, c’est pour des heures supplémentaire impayées. Voilà des années que nous tirons le signal d’alarme sur les pratiques managériales liées à l’allongement épuisant des durées du travail.
Auparavant, on pouvait garantir les « éléments substantiels » (fonction, lieu) du contrat de travail, contre les changements arbitraires, c’est la loi quinquennale Balladur-Giraud qui, dés 1994 s’est attaquée à cela, inversant, au détriment des salariés, les moyens de l’employeur de l’imposer.
Auparavant les conventions entraient dans les détails des grilles de métiers, de salaires avec des niveaux, des coefficients, selon les qualifications. Ce sont les amis de Darcos qui ont laissé le patronat supprimer cela en laissant les conventions étendues sans ces indispensables chapitres, en passant le Code du travail à l’acide des exigences du Medef. C’est le directeur général du travail, JD Combrexelle, aujourd’hui envoyé en pompier à France télecom alors que c’est le même qui a été l’auteur de la catastrophique “recodification” technocratique, antidémocratique, du Code du travail du 1er février 2005 au 1er mai 2008.
En remplaçant la notion de “qualification” selon les diplômes et les carrières, par “l’employabilité”, en soumettant les salariés aux “objectifs” quantitatifs, chiffrés, on a livré des millions de salariés à l’usage “d’entretiens individualisés” par notations arbitraires où d’autres cadres biberonnés aux résultats qu’ils n’ont pas encore atteints, “saquent” des professionnels expérimentés, détruisent des humains “à la tête du client”, parce qu’il ne correspondent pas aux nouvelles normes DRH.
“Travailler plus pour gagner plus” n’est pas seulement un slogan mensonger, trompeur, démagogique puisque les salariés gagnent moins, sont poussés au chômage partiel, au Pôle emploi, au stress, à la dépression, au suicide, mais c’est un slogan mortifère. Il faut travailler moins pour travailler mieux et tous.
Gérard Filoche