circulez rien à voir blog de la section socialiste des 3 pointes

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Briser la cage(article sans auteur)

Moins serrée la cage

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Article copié dans une tribune Brestoise dont je n'ai plus le titre en tête.

Alors que les médias relaient des images de villes révoltées et réprimées, des textes parlent d’une impression abordée ici : le sentiment (très) personnel d’assemblées générales de plus en plus vides de sens.

Des bruits, des images, des odeurs

Le mouvement a commencé à la fac, nous n’occupions pas grand-chose, juste le hall toute la journée et de temps en temps un amphi pour les projections. L’organisation était bordélique, on s’engueulait sur l’image qu’on reflétait, la violence de nos comportements, mais on trouvait des solutions, on avançait, le conflit nous tenait éveillé-e-s. On s’est retrouvé, on ne se connaissait pas, on a discuté autour de chips, de pain et de houmous, d’une brochure, d’une affiche et de marqueurs, on peignait à même le sol. Nous avons fait des erreurs, nous avions des idées divergentes, on ne voyait pas tou-te-s le mouvement de la même façon et surtout les manières de l’enclencher et de le poursuivre, mais nous sommes passé-es à l’action. Je me souviens de l’odeur des bombes dans les couloirs et les déambulations nocturnes dans la fac : je ne l’avais jamais vue comme ça et je ne la reverrais sûrement plus de cette manière, mais pour une nuit elle est devenue nôtre et des images resteront. Dans ma tête, les murs sont recouverts d’inscriptions en tout genre, en petits ou gros caractères, de feutre ou de peinture, il y a des montagnes de chaises aux entrées, il y a cette pièce secrète et l’auTOTOlaveuse que j’ai recroisée ce matin en reprenant la routine des partiels. D’ailleurs, j’ai passé mon exam dans une salle qui a servi de dortoir et ça m’a fait sourire. Et l’odeur des falafels sur le parvis et de la peinture dans les rues, ou encore les slogans décalés et le rouge des fumigènes. Lors de ces occasions que nous avons créées, j’ai ri pour la première fois avec certaines personnes, des liens se sont construits au fur et à mesure, on a appris à se connaître.
Nous avions envie de contester la professionnalisation de l’université car nous voulions y créer un espace où la réflexion permanente et le politique auraient toute leur place, nous ne souhaitions pas attendre que les enseignant-e-s nous donnent des connaissances prémâchées. Nous ne voulons pas de vos compétences qui font de nous des futur-e-s précaires. Nous voulons lire, apprendre, discuter et agir tou-te-s ensemble et c’est ce que nous avons fait pendant la grève. J’ai lu, j’ai appris, j’ai discuté et j’ai agi. J’ai découvert pleins de nouveaux concepts, des bouts de l’histoire des luttes, j’ai acquis de nouvelles compétences : apprendre à écrire droit sur une affiche, rédiger des tracts, bloquer une université, affirmer mes idées, crier. J’ai couru, j’ai sauté, j’ai chanté et j’ai beaucoup ri et j’ai aussi pleuré. Car nous ne voulions pas que l’université se transforme en un incubateur d’entreprises, mais l’université s’est transformée en un guet-apens. Nous voulions une cage moins serrée et elle s’est refermée sur nous. Nous voulions critiquer le monde du travail que nous exécrons et nous avons récolté la répression, ici et partout en France. J’ai pleuré quand mes potes se sont fait arrêter, j’ai flippé, exténuée d’une courte nuit et d’une journée de traque et puis j’ai ri, à nouveau, réconfortée par l’élan spontané de différentes personnes.

Qu’est-ce qu’on fout là à s’écouter parler ?

Les AG se suivent, se ressemblent, s’essoufflent. Je suis là, j’écoute mais les sujets discutés ne m’intéressent plus ou pas. Toujours les mêmes débats qui reviennent, toujours les mêmes mots : masque, communication, pacifisme, tout en noir, massifier, casseurs, syndicats, violence. Je suis fatiguée d’écouter tout ce blabla qui se répète sans cesse après deux mois de mobilisation : s’asseoir et discuter. Au début, j’allais travailler encore plus à contre cœur que d’habitude car je devais quitter les débats, quitter les discussions intéressantes, mais la dernière fois, j’étais presque contente de partir. Le travail me rappelle au moins pourquoi je lutte, pourquoi je continue. Parce que c’est tout simplement horrible. Parce qu’au fond j’ai la rage qu’on reste là à discuter alors que la précarité, elle, elle est bien là, toujours là, c’est mon quotidien et le quotidien de nombre d’entre nous, parce que la lutte ne va pas se faire en rond assis-e sur des chaises, parce qu’en attendant, mon travail est toujours aussi pourri et qu’il risque de le devenir encore plus. Mes premiers mots à la toute première assemblée ont été « on ne va pas pinailler sur les points positifs et négatifs de cette loi, le travail c’est de la merde, c’est tout » et depuis, je m’en tiens à cela. Parce que si malgré des milliers de tracts distribués, les gens s’en foutent encore, je n’ai pas envie d’aller les chercher par la main, ce n’est pas mon rôle et ce ne le sera jamais. Oui, la loi travail a réveillé cette colère qui s’est immiscée en nous il y a bien plus longtemps. Alors, informer sur la loi travail, à quoi cela-sert-il ? A quoi bon, tant que le travail tel qu’il est n’est pas remis en cause ? A quoi bon quand les travailleur-se-s ne se révoltent même plus contre le fait d’être des pions interchangeables ? A quoi bon quand des personnes ne se révoltent même pas quand un manifestant perd un œil ? Quand les violences policières se suivent et se durcissent ? A quoi bon soigner une infection quand le reste autour est gangrené ?
Le monde ou rien ? C’est surtout tout un monde que nous ne voulons plus et ce monde est le vôtre.
Alors oui je suis énervée d’entendre les critiques de « personnes de l’extérieur » car nous ne faisons pas assez bien les choses, que nous devrions en faire d’autres ou d’une autre manière, et de la pédagogie, et de la communication, et de la convergence des luttes. Il faudrait déjà que nos propres idées convergent. J’ai la rage de m’enliser dans des discussions stériles quand tous les soirs je me plonge dans la répétition mécanique du travail. J’ai la rage de voir que nous en sommes encore à hésiter. Et ça me fatigue quand il faut répéter que certain-e-s luttent depuis deux mois et qu’il y a des choses que nous avons déjà fait, que nous ne voulons plus faire et que nous voulons maintenant passer à l’action.

Parce que les dominant-e-s se serrent les coudes...

Pendant ce temps là, en haut, ils/elles arrivent très bien à préserver leurs privilèges, à protéger leurs intérêts et nous, nous en sommes encore à stagner sur des détails, en remettant toujours en question les mêmes sujets, en cherchant, comme dans le travail qu’on nous impose, le plus de productivité possible. Il n’y a tellement plus de place à la spontanéité que quand elle se présente, nous freinons et nous reculons. Et nous parlons, encore une fois. Et la frustration… A trop policer nos discours, nos comportements, nous nous épuisons et la rage s’atténue. Pourtant elle est bien là, contenue au fond de nous, prête à exploser. Nous sommes prêt-e-s à engager le rapport de force collectif auquel nous appelons dans nos tracts. Oui nous pouvons parler, penser des bases solides, écouter les appréhensions de certain-e-s, avoir conscience des limites. Tout cela n’est pas antinomique, discuter n’empêche pas d’agir, c’est la prise de décision laborieuse, le « bon mot » que chacun-e veut placer qui nous freinent. Nous devrions au contraire multiplier les moments informels, ce que nous réclamons depuis le début mais que nous ne trouvons jamais le temps de faire. Nous devrions concrétiser les discours, agir et être le plus souvent en mouvement. Nous nous en foutons de l’image que nous dégageons. Nous nous en foutons d’être assimilé-es à des casseurs puisque nous en sommes et s’il faut détruire des vitres pour répondre à la destruction organisée de nos vies, nous en serons. S’il faut casser parce que nous avons juste trop de colère en nous, ce sera une bonne raison parmi tant d’autres. Nous ne voulons pas qu’on légitime ou non nos actions. Nous voulons agir pour nous souvenir des bruits, des images et des odeurs. Pour nous souvenir des émotions et des sentiments de chacun-e, pour nous rappeler que nous étions ensemble à crier, à peindre, à rire, à casser. Pour nous rappeler que nous étions tou-te-s ensemble à lutter et que nous avons saisi cette part de liberté.

Brisons la cage !



17/07/2016
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